Eaux troubles | Ariel/Ariane Bellow [en cours]

❧  Questionnaire ❧
• Que pensez-vous de Mme le Maire : / Ariane se sent toujours très concernée par les décisions politiques, elle se considère comme une aficionada et monte au créneau dès que la mairie prend des décisions douteuses, principalement sur l’axe écologique. Elle publie des articles sur son blog mais ils sont souvent confus. Elle est aussi militante que n’importe quel étudiant en lettre mais dans le fond, elle demeure une inexorable
• Storybrooke semble être une petite ville assez chaleureuse. Aimez-vous la ville et qu'en pensez-vous ? : Non, cette ville est terrifiante. Ses paysages criards et ses lignes obscènes me donnent des vertiges, il m’arrive de faire d’horribles malaises parce que je me sens écrasée par les immeubles. C’est terrible d’avoir autant de visions d’horreur, j’essaie de rationnaliser. Les mouvements urbains ne me sont pas naturels, je ne tiens pas bien sur mes jambes. Parfois je regarde à la fenêtre et c’est comme si j’allais me noyer.
• Comptez-vous y rester ? Je pense que mes jours sur Terre sont comptés. Ma place dans ce monde n’est pas une évidence.
• On raconte que la ville est apparue grâce à une malédiction. Y croyez-vous ? : Si nous sommes tous maudits, mon malaise s’expliquerait plus facilement.
• Croyez-vous en la magie ? : Il y a clairement des forces maléfiques sur cette planète, mais elles ne dépendent pas forcément d’un délire féérique.
• Si vous étiez un personnage de conte ou de légende, qui serez-vous ? : Je ne suis pas très féru de conte de fée, je dirais peut-être un personnage du pays des merveilles…ou un enfant perdu…

Bonjour à tous, je m’appelle Jo, j’ai 21 ans et j’espère que ma version de la Petite Sirène vous plaira. J’ai choisi de tirer la corde de son inadaptation au monde terrestre, puisque sa mémoire est totalement altérée. Toute magie a un prix et des bisous.  

Avant la malédiction.
Il y a dans les profondeurs,
Sous la lourdeur des océans,
Un royaume figé dans le temps
D’ondines et de sirènes, toutes sœurs,
Où chaque siècle est un instant.
Le roi Triton, sage Neptune
Veille sur leur récréation
Pour écarter les infortunes
Il appose ses interdictions :
Rester à l’écart des humains
Qui sont une race d’assassins
Ne pas déranger la sorcière
Dont les pouvoirs sont un mystère.
Il oubliait qu’une trahison
Advient toujours dans sa maison.

Il était une fois.
Ariel est issue d’une lignée qui répond aux mêmes lois dynastiques que celles respectées par les royautés humaines. Fille cadette du roi Triton, concluant une légion d’enfants sirènes toutes plus belles et plus talentueuses les unes que les autres, elle est l’enfant chéri d’un paradis préservé sous les océans. Enfoui au fond des eaux, les naïades et leurs amis poissons vivent et s’aiment hors de portée des crochets, des filets et des harpons qui les avaient privés de reine et bien d’autres milliers de compagnons.
Trop jeune pour peser ces traumatismes, Ariel ne pouvait hélas plus goûter l’enchantement d’être en paix auprès des siens. L’admiration de tous pour sa beauté et son talent ne lui suffisaient guère : Ariel vivait la protection de son père comme une entrave à son plaisir. Au contraire, la surface la fascinait. Rien ne suscitait plus d’extase en elle que le passage de l’ombre d’un bateau ou que la découverte d’un objet coulé, inconnu et mystérieux. Elle faisait la collection des vestiges, poussée toujours plus loin par sa curiosité et assisté par des amis oiseaux, plus libres qu’elle semblait-il. Un jour, sa curiosité l’entraîna à un point d’imprudence extrême et elle se hissa jusqu’à la coque d’un navire balloté sur le pont duquel son regard rencontra l’amour. Un prince beau comme elle n’en avait jamais vu que la tempête s’apprêtait à engloutir avec ses biens et tout son équipage. Quand son corps athlétique sombra et qu’il ne pouvait plus défendre ses poumons contre la pression de l’eau, elle désobéit à toutes ses règles et le recueilli entre ses bras pour le faire échouer sur une plage de sable. Après s’être assuré qu’il vivrait, elle retourna auprès des siens, le cœur lourd et l’esprit enchaîné à cet amour impossible.
La colère de son père ne fit qu’aggraver sa tourmente. Il détruisit tout ce qui la reliait à ces souvenirs impies, à cette alliance malsaine qui ne pouvait donner que du mal. Mais la beauté et la jeunesse d’Ariel étaient convoités par Ursula, la sorcière des abysses condamnée à vivre à l’écart de tous et qui retenait les âmes des sirènes qui avaient pactisés avec elles pour assouvir une ambition. Avec sa langue enchanteresse et sa magie spectaculaire, elle séduisit Ariel d’une idée : et si elle pouvait marcher sur terre pour conquérir le cœur de son bien aimé ? A une condition toutefois, il lui faudra laisser sa voix merveilleuse et séduire sans pouvoir parler. Trois jours lui seront comptés pour obtenir un vrai baiser d’amour, sans quoi elle perdra tout. Ariel accepta.
Munie de ses jambes toutes fraîches, Ariel échoua à son tour dans le sable piquant et n’eut même pas le temps d’apprendre à s’équilibrer qu’elle était découverte par son aimé en promenade. Il la prit en pitié, nue et à demi-folle. Le prince était mélancolique et, muette, Ariel ne pouvait pas ressusciter en lui le souvenir qui le hantait : tombé amoureux de la voix de la sirène, il espérait la revoir un jour et ne pouvait la reconnaître sans qu’elle pût chanter.
Quoi qu’elle peinât déjà à marcher, à s’habiller, à s’exprimer et qu’elle découvrait chaque minute les réalités d’une existence humaine avec d’autres diagonales, d’autres orifices, d’autres textures et d’autres besoins, il lui fallait se montrer charmante. Sa candeur et sa beauté attendrissaient le prince triste mais ne lui ôtait pas l’autre femme de l’esprit. Malgré ses efforts, Ariel échoua à obtenir de lui le gage qu’il lui fallait.
Un drame se produit alors. Le prince retrouva la femme de ses rêves en l’entendant chanter sur la plage. Quand Ariel l’apprit, elle ne pouvait le croire, puisqu’elle était la femme. Pourtant le mariage fut programmé et un double d’elle-même au regard plus froid et à la voix merveilleuse fut déclarée fiancée. Perdu et désespérée, Ariel voulu se laisser mourir ou se jeter du haut d’une falaise. Le mariage eut lieu sur un bateau. La mariée était magnifique. Mais ses yeux et ses reflets trahissaient son identité : tout le peuple des fonds marins pouvait reconnaître la sorcière se repaître du malheur de la princesse et se hisser à un rang royal. Par pitié pour leur ancienne fille, les flots se brisèrent violemment sur les flancs du navire, les animaux sautaient sur le pont et les oiseaux attaquèrent Ursula qui fit tomber l’artefact où elle retenait la voix d’Ariel. Le prince sortit de son hypnose et la sorcière entra en rage et déchaîna toute sa magie pour faire trembler l’océan. Quand elle allait détruire sa rivale et s’emparer du pouvoir de Triton, le prince la pourfendit d’un harpon et elle sombra dans les abysses.
Le roi sauvé bénit leur mariage.
Ils se marièrent et eurent peut-être des enfants.

Après la malédiction.
D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Ariel n’a jamais quitté le sol américain. Ses parents sont très riches et ont toujours subvenu à ses besoins et pallié à ses désirs. Bien qu’ils aient essayés de l’élever avec des valeurs, dans un certain équilibre et avec un sentiment de justice, ils n’échappèrent pas au piège d’en faire une enfant pourrie aux dents gâtées de caramel.
Son père est un américain blanc chrétien et l’aime profondément mais comme beaucoup d’autres il échoua à préserver la communication à l’adolescence. Il acceptait mal les premiers amours d’Ariane et aimait encore moins aller la chercher au poste de police. Il n’aimait pas ses cheveux colorés, ses vêtements gothiques et vulgaires et malgré les efforts de compréhension, se montra très rigide ce qui compliqua leurs relations pour toujours. Ariane a aujourd’hui une relation de bonne entente avec son père dont elle souffre sans en faire cas. Tous les enfants souffrent de leurs parents. Ses psychologues ont toutefois beaucoup aimé discuter de ce trouble anthologique.
Les premiers véritables troubles d’Ariane sont apparus quand elle entrait au collège mais il lui semble qu’ils sont en fait beaucoup plus anciens et plus profonds. Il lui arrive de faire de terribles crises d’angoisse qui la saisissent des pieds jusqu’à la tête. Elle ne peut alors que rester couchée ou prostrée quelque part, le souffle fort. A une époque elle pouvait en faire des dizaines par jour. Parfois, une douleur la prend à l’estomac, comme une envie de mourir, et reste logé dans son ventre pendant des mois où il faut vivre avec sans que personne ne le voit ou ne le comprenne. Elle se décrit souvent elle-même comme un zombie. D’autres phénomènes étranges se produisent souvent et peuvent faire sourire. Son regard se perd dans une pièce comme si elle ne reconnaissait pas, elle voit de l’étrangeté dans des choses banales et n’arrive pas à expliquer ce qui se dérobe à son bon sens. Elle fixe un objet et il perd toute sa logique. Ce sentiment peut naître chez tout le monde : on observe un mot et soudain son assemblage de lettres, pourtant familier, nous semble anormal. Chez Ariane, ce sentiment d’incompréhension est entêtant, trop fréquent et confirme son impression de ne pas être née au bon endroit, qu’elle ne maîtrise pas ce monde.
Sa scolarité ne fut pas brillante du tout, essentiellement en raison de ses troubles. Ariane n’est pas diplômée. Elle s’est beaucoup estimée au-dessus de ça. A l’école elle a eu beaucoup d’amis dont peu le sont restés. Ses bizarreries, sa lâcheté et son tempérament brusque n’amuse pas toujours longtemps et elle est aussi mauvaise langue. Quand elle trafiquait des bouteilles d’alcool à l’aide d’une fausse carte d’identité, elle était tout de même assez populaire. Elle avait aussi une réputation de traînée mais ça n’a jamais vraiment posé de problème à personne. Puis elle a découvert son engagement politique.
Ne pouvant pas aller tout de suite à l’université à cause de son échec, Ariane fit quelques boulots en ville avant de revenir dans son patelin d’origine où ses parents lui paient un appartement. Elle est toujours supposée être en recherche de travail.
Ariane a eu quelques copains qui n’ont jamais beaucoup marqués son existence. Quand elle sort en club, elle drague beaucoup et ramène souvent quelqu’un chez elle. Internet est un outil de rencontre qu’elle affectionne aussi beaucoup.
La marijuana entra dans sa vie un peu avant qu’elle quitte le lycée et s’avèrera toujours une compagne fidèle. Ariane ne parvient pas à se trouver une grande passion transcendantale, comme son amie Belle et la littérature, aussi elle veille à garder son esprit éveillé en lisant et en sortant.
Beaucoup de signes l’empêchent de se lancer dans le grand tourbillon, comme cette longue cicatrice ventrale au-dessus de son utérus. Secrètement, elle espère un jour faire quelque chose de sa voix dont elle n’a jamais douté qu’elle était extraordinaire.