Demande de stage feat Belle

Archibald avait une course importante à faire. Il était descendu en trombe, avait loué Belle d'être là et sans expliquer son empressement, sortit pour "des affaires urgentes". Je te confie la boutique, je te fais confiance ! Belle l'avait regardé avec des yeux ronds. Puis, sans y prêter d'avantage d'intérêt, retourna à son ordinateur, derrière le comptoir.

Belle avait l'habitude des coups de théâtre d'Archibald. Elle avait l'habitude de le voir serein comme une vache sacrée pour ensuite s'agiter nerveusement dans tous les sens. Elle le pensait trop émotif. Trop expressif. Ces derniers temps, il était en joie. Quand Belle était arrivée en lui parlant de son entretien avec monsieur Hellbones, il avait râlé. "Peuh ! Tu parles d'un sursi ! Maintenant, je vais me ronger les os pendant douze mois au lieu de quatre !" Mais, finalement, son humeur s'était calmée et il s'était montré bien plus chantant qu'à son habitude. Quand il passait pour ranger les étagères en sifflotant, Belle levait un regard moqueur vers lui, sourire en coin. Il la voyait et s'arrêtait immédiatement en reprenant ses grimaces ronchonnes. Parfois même, se permettait un "Quoi ?" de mauvaise foi. Belle était heureuse de le retrouver aussi joyeux. Et était fière de son entêtement.

Cela faisait presque une demi-heure qu'Archibald était parti. La librairie était calme. Le lycée fermerait bientôt, l'heure de pointe approchait. A partir d'une certaine heure de la soirée, juste avant la fermeture, des adolescents venaient se masser en bande et s'enfonçaient dans les rayonnages de comics. Certains, encore, profitaient pour récupérer des livres que les professeurs pouvaient commander pour les cours. C'était l'heure de la panique où il fallait surveiller, conseiller et receptionner. Il y avait du bruit, de l'agitation, des rires. Chaque jour, elle se préparait psychologiquement au pire.

Pourtant, lorsque le carillon sonna, il ne lui semblait pas que c'était la bonne heure. Elle vérifia sur son téléphone. Un simple client. Elle sorti de son comptoire, amusée par l'interpellation presque perdu de l'adolescent.

Oui, oui ! Je suis là. Bonjour !

Elle fit un coucou et le voyant se retourner, n'en crut rien. Elle eut un mouvement sceptique et fronça les sourcil. Plissa les yeux. Et son visage s'arrondit de surprise.

Alec ? Mais...

Tous les pires scénarios du monde traversèrent alors comme une fusée son esprit.

Qu'est-ce que tu fais là ? Fit-elle mine de sourire, cependant très inquiète des raisons qui poussaient un adolescent tel que lui à venir se perdre tout spécialement dans sa boutique paumée au milieu des quartiers sans histoire.

Elle se demanda d'abord comment il avait su qu'elle travaillait là. Est-ce qu'il était envoyé par son père ? Avait-il fouillé ses papiers ? Avait-il fait des recherches sur elle ? Toutes ces pensées ne lui inspiraient qu'angoisse et mauvaise prémonition...

Une blague... C'était une putain de blague. Belle le regarda avec des yeux ronds, figée et inerte. Est-ce qu'elle venait de mourir à l'intérieur ? Elle avait la gorge qui se nouait et l'estomac qui grinçait bizarrement. Belle ne savait pas trop quoi en penser. Devait-elle avoir peur que son patron découvre que Belle avait couché avec le gars qui avait des vues sur la destruction de la librairie ? Est-ce qu'elle devait se sentir agressée par le fait qu'Alec avait été des plus impolis ? Ou devait-elle se demander s'il savait ce qu'il demandait ?

Belle songea qu'Alec n'était pas bien brillant. Que son père avait très certainement dû l'envoyer pour surveiller la librairie. Comment Alec aurait-il peu savoir dans quelle librarie Belle travaillait, autrement ? Et quel enfant trouverait cela normal d'aller réclamer un stage auprès de la "conquête" de son père ? Belle hochait doucement la tête, sceptique et espérant qu'il plaisantait. "Ah ! Nan, j'déconne, ma soeur ! Ce serait trop glauque". Oui, c'était glaque. Elle plissa un oeil et l'autre sourcil se releva.

Han anh... Tu m'en diras tant... Souffla-t-elle en tendant la main pour récupérer son papier, à moitié le souffle coupé.

Elle baissa les yeux dessus en retournant à son comptoir. Effectivement, il y avait bien l'adresse de la librairie. Mais, comment ? Il n'y avait pas quinze mille personnes, dans cette ville, qui étaient capables d'assimiler Belle à cette adresse. Pourtant, rien ne lui vint en tête. Elle écoutait attentivement les explications qu'elle jugea bancales du garçon.

- J’aurai bien voulu vous le demander l’autre jour mais comme vous aviez l’air pressée, j’ai préféré passer une autre fois.

Pressée, c'était bien le mot. Comment expliquer à un adolescent le pourquoi de son empressement ? En fait, j'étais pressée de ne plus rien avoir à faire avec ton père, mon garçon. Ca ne te dérange pas ? C'est pas que j'y ai pas pris mon pied, hein... Mais, voilà. Il lui semblait confirmer qu'il n'était sans doute pas particulièrement vif d'esprit. Ca aurait pu être très drôle si la situation n'était pas aussi gênante. Commencer une relation professionnelle sur la queue du père de son stagiaire (père qui était le propriétaire des locaux de son patron) était sans doute la pire des manières.

- Si ça vous va, je n’aurai plus qu’à en parler à mon père !

Ah, parce qu'il n'est pas au courant, mon Coco ? Tu es bien sérieux ?! Belle releva les yeux sur lui, sa mine déconfite qui se décomposait au fur et à mesure de ses révélations. Elle balbutia en secouant sa tête de manière anarchique. En vérité, Belle n'était pas à même de pouvoir lui accepter ou refuser un stage. Officiellement, elle n'était qu'une employée d'Archibald. Il était le seul maître d'entreprise à pouvoir tamponner son stage. Mais, une pensée vint à Belle : Si Alec rencontrait Archibald, ce dernier comprendrait très facilement le lien entre Dante et Belle. Archibald était intelligent. Archibald n'allait vraiment pas aimer.

Et bieeen... Commença-t-elle, hésitante. Tu sais... Ce n'est pas à moi de décider. Mon patron est parti, il va revenir dans pas trop longtemps. Mais... Elle réfléchit. Je pense pas qu'il prenne de stagiaire, Alec... C'est une petite librairie. Et ça ne va pas t'apporter grand chose...

La question aurait été vite réglée, en vérité, s'il s'agissait de n'importe quel lycéen : La librairie n'avait jamais pris de stagiaire. Archibald était un homme de peu de confiance. Belle avait été sa seule employée en des années de commerce. Seul son fameux Arthur avait pu, occasionnellement, aider le vieux libraire dans sa tâche. Alors, faire confiance en des ados... Il ne fallait pas trop en demander a Archibald. Cependant, le rang d'Alec ne pouvait permettre aucun refus. Archibald louait ses locaux à son père qui avait une position toute-puissante et quasi-divine sur le sort de sa librairie. Refuser un stage à ce garçon, c'était comme un suicide anticipé des affaires. Belle savait qu'elle pouvait refuser tous les stagiaires qui venaient frapper à leur porte. Tous, sauf un Hellbones.

Mais, tu peux toujours attendre cinq minutes ici, le temps que monsieur Archibald revienne...

Dans quel genre de misère s'était-elle fourrée ?

Ce garçon la laissait sceptique. Un petit peu désarmée même. Belle ne savait trop quoi penser d'Alec. Il avait l'air d'être venu avec beaucoup de bonne volonté et il était d'une innocence touchante. Comment lui expliquer que sa requête était bien déplacée ? Et extrêmement gênante ? Sa naïveté était bien à son honneur mais, il semblait qu'il ignorait combien sa position ne pouvait être ignorée. Quelque part, Belle jugea l'adolescent comme irresponsable. Lorsqu'il parla d'argent, elle le regarda avec des yeux ronds et une bouche béante.

Comment pouvait-il parler de rémunération ? Il y avait plutôt intérêt que son stage soit complètement bénévole ! Belle voulu s'énerver mais, encore une fois, touchée par la sincérité d'Alec, calma ses vives réactions et tenta un sourire peu convaincu.

Alec avait la possibilité d'être chef d'entreprise, cadre, PDG, de faire dans la politique,... S'il aimait la littérature, il pouvait faire de grandes études de lettres. Antiques, modernes, classiques,... Il pouvait faire dans l'histoire antique, archéologue. Il pouvait également gérer sa propre filière ou monter une maison d'édition... Si Belle adorait son métier, elle aurait sans doute tout donné pour pouvoir avoir l'influence de son père et l'héritage du fils. Etudier et se plonger corps et âme dans l'érudition. Quelque part, l'humilité d'Alec insultait les ambitions de Belle. Lui, qui avait tant de possibilités, ne désiraient traverser que des voies qui seraient, pour lui, mille fois trop facile. Belle jugeait peut-être trop vite... Elle rit légèrement. Un peu jaune.

Tu sais, Alec... Le métier de libraire n'est rien de plus qu'un métier de commerce spécialisé... Souffla-t-elle pour faire comprendre poliment son état d'esprit.

Belle posa la feuille sur le côté. Elle espérait, quelque part, que l'adolescent décide de "revenir plus tard" pour mieux jauger l'intrusion qu'il soumettait à Belle. Elle se convainc qu'Alec était venu sans l'accord de son père. Avait-il sans douté fouillé les papiers du père pour trouver l'adresse de la libraire. Oui... Sans doute ça... Ce qui restait étrange était que Belle n'avait jamais donné son nom. Et que la librairie était au nom d'Archibald. Belle n'osa pas demander à Alec comment il l'avait retrouvé. Et se contenta de préparer son discours, lorsqu'Archibald reviendrait. Elle regarda l'heure. Elle ignorait bien dans combien de temps il reviendrait.

Il était tentant de le laisser attendre ici. Jusqu'à ce qu'il perde patience. Mais, Belle jugea la technique un peu trop fourbe. Elle dealait difficilement avec sa conscience. Discrètement, elle envoya un SMS à Archibald.

"Il y a un jeune garçon, à la boutique, qui te demande. C'est plutôt urgent..."

Elle redressa la tête brusquement vers Alec. Elle soupira et tenta de briser le silence par des banalités. Elle détestait ça.

Alors... Qu'est-ce que tu deviens, depuis la dernière fois...?